Source: Catholic World Report

Le 28 octobre 2023, le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a fait sensation en citant alors qu’il était question de la guerre d’Israël contre le Hamas, un passage controversé de la Bible. Lors d’une adresse au public israélien, il a déclaré :

[Nos soldats] aspirent à rétribuer les meurtriers pour les actes abominables perpétrés à l’encontre de nos enfants, nos femmes, nos parents et nos amis. Ils se sont engagés à éradiquer ce mal du monde, pour notre bien, et j’ajoute, pour le bien de toute l’humanité. Le peuple tout entier et ses dirigeants les étreint, les embrassent et croient en eux. « Souviens-toi de ce que te fit Amalec » (Dt 25:17). Nous nous souvenons et nous nous battons.

Les commentateurs ont tout de suite rapporté le propos de Netanyahou à un autre passage biblique dans lequel Dieu commande : « Va maintenant, frappe Amalec, […]  tu ne l'épargneras point, et tu feras mourir hommes et femmes, enfants et nourrissons, bœufs et brebis, chameaux et ânes.» (1 S 15:3).

Les commentateurs ont interprété la référence de Netanyahou à Amalec comme une preuve des « intentions génocidaires » du gouvernement israélien, déterminé à perpétrer le meurtre aveugle des Palestiniens. Inévitablement, des titres à sensation ont suivi, tels que « Netanyahou appelle ouvertement au génocide en citant la Bible » ou « Netanyahou déclare la guerre sainte contre Gaza en citant la Bible ».

Pourtant, ces titres sont des « informations fallacieuses ». Netanyahou n’a pas appelé à un génocide ou à une guerre sainte contre les Palestiniens. Néanmoins, son association du Hamas à Amalec afin de légitimer la guerre d’Israël contre le groupe terroriste contraste fortement avec les appels généralisés à un cessez-le-feu, y compris celui du pape François, appelant à un cessez-le-feu « au nom de Dieu ».

Netanyahou et le pape ont fait appel à Dieu et à la Bible dans le but de justifier deux lignes d’action opposées : la guerre et un cessez-le-feu. Qui a raison ? Et quelle ligne de conduite sert véritablement « le bien de l’humanité » ?

Répondre à cette question, suppose d’examiner de plus près la figure d’Amalec dans la Bible.

Amalec dans la Bible

Amalec fait une première apparition dans le livre de la Genèse en qualité de petit-fils d’Ésaü, le tristement célèbre frère jumeau et rival de Jacob, père d’Israël (Gn 36:12). Amalec a hérité de la profonde inimitié d’Ésaü envers Jacob. Ses descendants, les Amalécites, sont les premiers ennemis à attaquer Israël après que celui-ci ait quitté l'esclavage égyptien. Alors que Josué conduit les hommes à descendre et à les combattre, Moïse, en prière, brandit le bâton de Dieu, assisté d’Aaron et de Hur. Tant que le bâton de Dieu est élevé, les Israélites deviennent plus forts et ont l’avantage jusqu’à ce qu’Amalec soit vaincu (Ex 17:8-13).

Après la victoire, le Seigneur demande à Moïse d’écrire dans le livre qu’il effacera « entièrement le souvenir d’Amalec de dessous les cieux ». Moïse bâtit également un autel en signe de ce que « il y aura guerre de l'Eternel contre Amalec, de génération en génération » (Ex 17:14-16).

Le passage du Deutéronome cité par Netanyahou, précise en quoi consiste la méchanceté d’Amalec :

Rappelle-toi ce qu’Amalec t’a fait sur ton chemin, quand tu quittais l’Égypte, comment il t’a rencontré sur ton chemin et a attaqué tous ceux qui étaient à la traîne derrière toi, quand tu étais épuisé et faible. Il n’a pas craint Dieu. (Dt 25:17-18)

En attaquant et en massacrant les retardataires à l'arrière – les personnes âgées, les très jeunes, les malades, les femmes enceintes, etc. – les Amalécites ont commis le crime ultime d'être impitoyables envers les faibles. N’ayant aucune crainte de Dieu, ils ont trahi à l’excès le sentiment humain et manqué de la plus élémentaire décence. Selon la tradition juive, Amalec a d’abord prétendu être l’ami et le parent d’Israël, attirant vers la mort les Juifs sans méfiance en les appelant par leur nom et en les invitant à quitter le camp, là ils ont été tués, et leurs cadavres mutilés.

La trahison et l’inimitié d’Amalec font de lui plus qu’un simple ennemi parmi d’autres car il est l’ennemi perpétuel de Dieu et d’Israël – Incarnation du chaos et de la mort cherchant à contrecarrer le plan rédempteur de Dieu en annihilant le peuple de Dieu. C’est pour cette raison qu’il est ordonné à Israël « d’effacer le souvenir d’Amalec de dessous les cieux » (Dt 25:19).

Aussi dur soit-il, cet ordre est justifié : Amalec doit être éliminé car il est l'archétype du mal meurtrier, la personnification de l'inhumanité et de l'absence totale de scrupules, bref, une sorte de mal cosmique. Tant qu’il survivra, il continuera d’affliger non seulement Israël, mais le monde entier.

Ainsi, Amalec ne peut être apaisé. On ne peut le vaincre que pour le bien de l’humanité. Même le prophète non israélite Balaam prévoyait sa fin future : « Amalec est la première des nations, mais à la fin, il sera détruit. » (Nb 24:20).

Les Amalécites continuent de fomenter troubles et désolation tout au long de l’Ancien Testament : ils battent Israël et s’emparent de Jéricho (Jg 3:12-13), détruisent les produits du pays (Jg 6:3) et « s’abattent dans la vallée, aussi nombreux que des sauterelles » (Jg 7:12). Après l’établissement du royaume israélite, le roi Saül bat les Amalécites (1 S 14:47-48) mais, contrairement au commandement de Dieu, épargne leur roi, Agag, dans un acte de désobéissance qui conduit à sa chute (1 S 15:1-35). Les Amalécites demeurent les ennemis implacables de David (1 S 27:8) attaquent et brûlent la ville de Tsiklag, emmènent ses femmes captives (1 S 30:1-20). Ils sont répertoriés à plusieurs reprises parmi les ennemis d’Israël (2 S 8:12 ; 1 Ch 18:11), motivés par des intentions génocidaires (Ps 83:4-7).

L’Amalécite le plus célèbre de la Bible est le scélérat Haman du livre d’Esther. Haman est présenté comme « l’Agagite » (Est 3:1) – un descendant du roi amalécite Agag épargné par Saül. La clémence du roi Saül envers Agag a permis à sa postérité de survivre et a rendu possible l’essor de son descendant génocidaire Haman, mû par le désir d’éradiquer les Juifs. Haman éclaire sur la raison justificative de l’ordre d’effacer le souvenir d’Amalec. S’il n’est pas exécuté, « l’esprit d’Amalec » continuera d’être un fléau pour Israël et le monde, obscurcissant la face de Dieu à chaque génération. En effet, selon un dire rabbinique,

Le nom de l’Eternel ne sera pas complet et son trône ne sera pas parfait tant que la postérité d’Amalec subsistera dans le monde ; mais quand la postérité d’Amalec périra, le Nom sera complet et le Trône sera parfait.

« Tu ôteras le mal du milieu de toi.»

L’un des problèmes moraux les plus difficiles de l’Ancien Testament est la question de la guerre totale herem – le commandement est d’anéantir non seulement les Amalécites mais aussi toutes les nations cananéennes qui habitaient auparavant la Terre promise (Dt 7:1-5 ; 20:16-18). Le principe derrière ce commandement est simple : certains maux sont si extrêmes qu’ils ne peuvent être ni apaisés ni maîtrisés. Ils doivent être vaincus et détruits.

Comme les Amalécites, les Cananéens incarnaient cette sorte de mal sans limite. Ils ont commis des abominations – telles que la perversion sexuelle, la prostitution rituelle et les sacrifices d’enfants – abominations qui ont souillé non seulement leurs auteurs mais aussi le pays tout entier. Après avoir profané le pays, les Cananéens reçurent un châtiment à la hauteur de leurs crimes : ils devaient en être expulsés (Lv 18:24-30).

Le même principe de rétribution s’appliquait également à l’ancien Israël, comme l’exprime à plusieurs reprises le Deutéronome : « tu ôteras le mal du milieu de toi » (Dt 13:5-11 ; 17:2-7 ; 22:20-24). C’est la raison pour laquelle, dans l’Ancien Testament, la peine capitale est conservée au rang des sanctions : certains péchés sont si odieux qu’ils sont susceptibles de corrompre une société toute entière ; ainsi, dans le but de préserver la société de la gangrène, ils sont punis de mort.

Miséricorde divine et justice divine

Bien que le traitement sévère infligé dans la Bible aux malfaisants choque les sensibilités modernes, il n’est pas une expression de cruauté ou de vindicte divine, mais de miséricorde et de justice. La miséricorde divine ouvre la voie au pardon par la repentance, quand la justice divine exige que les malfaiteurs impénitents soient punis à cause du mal qu’ils causent à autrui.

La Bible regorge d’exemples. D’une part, Dieu a reporté le jugement des Amorites de quatre générations parce que leur iniquité n’était « pas encore complète » (Gn 15:16). Il était prêt à épargner Sodome et Gomorrhe à cause de quelques justes (Gn 18:22-33). Il a annulé son jugement imminent sur les habitants de Ninive après qu'ils se sont repentis (Jon 3:1-10). D’autre part, Dieu a châtié les sociétés qui persistaient dans l'iniquité, comme la génération du déluge (Gn 6:5-7), Sodome et Gomorrhe (Gn 19:24-25), et Jérusalem au moment de l'exil babylonien (2 R 25).

Même si Dieu ne prend aucun plaisir à punir les méchants, la repentance est le seul chemin sûr vers la miséricorde (Ez 18:30-32). La bonté de Dieu conduit les pécheurs à la repentance ; mais ceux qui refusent de se repentir accumulent la colère contre eux-mêmes (Rm 2:4-5). Laisser les criminels impénitents s’en tirer ne serait pas une manifestation de la miséricorde divine, ce serait un acte d’injustice divine, permettant au mal de persister sans contrôle dans le monde.

Les chrétiens à qui l’on a appris à « aimer le pécheur et haïr le péché » peuvent trouver cette forme de justice divine dure. Comme Soljenitsyne l’a noté à juste titre, la ligne de démarcation entre le bien et le mal ne passe pas par les États, les classes ou les partis politiques, mais « par chaque cœur humain ». Puisque nous sommes tous des pécheurs ayant besoin de pardon et de rédemption, ne devrions-nous pas être miséricordieux envers les péchés des autres ?

Le principe est certainement valable dans la plupart des cas, mais il rencontre ses limites. Car que peut faire une société lorsque certains individus ou groupes, comme Amalec – ou le Hamas – deviennent si complètement dépravés qu’ils entraînent des nations entières dans le chaos ?

Hamas : un Amalec des temps modernes ?

Les parallèles entre Amalec et le Hamas – qui signifie « Mouvement de résistance islamique » en arabe mais signifie à juste titre « violence » en hébreu – sont étranges.

Tout comme Amalec – le descendant d’Ésaü – était un parent éloigné d’Israël, les membres du Hamas – les descendants arabes d’Ismaël – sont des parents éloignés des Israéliens. Tout comme Amalec était rongé par la haine contre l’ancien Israël, le Hamas est rongé par la haine contre l’Israël moderne. Tout comme Amalec a éliminé les retardataires qui ne pouvaient pas se défendre, le Hamas a massacré avec une cruauté indescriptible les faibles qui ne pouvaient pas se défendre. Ils ont violé et tué des jeunes filles. Ils ont assassiné de sang-froid des familles entières et en ont brûlé vifs un grand nombre. Ils ont exécuté les parents devant leurs enfants. Ils ont kidnappé des bébés et des survivants de l'Holocauste.

La brutalité du Hamas n’est pas nouvelle. Il est sur la voie du jihad depuis sa création, son objectif déclaré n’étant pas la création d’un État palestinien mais – comme l’ancien Amalec – l’anéantissement d’Israël. Israël a-t-il d’autres choix viables que de le détruire avant tout ?

Le Hamas et les Palestiniens

Netanyahou n’a pas englobé tous les Palestiniens sous la qualification d’Amalec, et Israël a déclaré à plusieurs reprises qu’il n’était pas en guerre contre tous les Palestiniens, dont beaucoup sont des victimes tragiques de la guerre. Il est bien connu que le Hamas exploite cyniquement les civils palestiniens, les utilisant comme boucliers humains alors que les dirigeants du Hamas mènent une vie opulente à l’étranger.

Néanmoins, il est inquiétant de constater l’existence d’un « esprit d’Amalec » largement répandu dans la société palestinienne. L’incitation anti-juive enragée, tel l’enseignement aux enfants palestiniens à haïr les juifs dès le plus jeune âge, est bien documentée depuis des décennies. Le slogan pro-palestinien « Du fleuve à la mer, la Palestine doit être libre » n’est rien d’autre qu’un chant génocidaire appelant à l’anéantissement d’Israël.

Selon des sondages récents, une grande majorité de Palestiniens (75 %) soutiennent toujours le Hamas et approuvent la vague d’assassinats du 7 octobre. En effet, en ce jour horrible, des foules de « civils palestiniens ordinaires » ont célébré le massacre massif d’Israéliens, allant jusqu’à rouer de coups les dépouilles des civils israéliens qui étaient exposées lors de parades dans les rues de Gaza.

On serait tenté de croire ces dirigeants palestiniens qui se vantent d’« aimer la mort comme nos ennemis [israéliens] aiment la vie ».

Pas de guerre totale (Herem)

Malgré la haine anti-juive et l’incitation à la haine au sein de la société palestinienne, Israël mène une guerre contre le Hamas, et non contre les civils palestiniens. Israël dispose de suffisamment de puissance de feu pour anéantir Gaza en un jour. Il aurait pu déversé un tapis de bombes sur Gaza et mettre fin à la guerre le 8 octobre, mais il ne l’a pas fait. Au lieu de cela, il a lancé une invasion terrestre lente, coûteuse et dangereuse, dans le but de libérer tous les otages, de mettre fin au règne du Hamas sur Gaza et de rétablir la sécurité dans la région.

Il n’y a aucune équivalence morale dans ce conflit : Israël respecte le droit de la guerre ; Ce n’est pas le cas du Hamas. Alors que le Hamas cherche à maximiser les pertes civiles israéliennes, Israël va au-delà de ses attentes pour les minimiser, en avertissant les civils de rester à l’écart des cibles militaires et en ouvrant des couloirs humanitaires leur permettant d’évacuer vers des zones sûres.

La guerre totale (Herem) – le meurtre aveugle de civils – n’est jamais une option morale acceptable aujourd’hui. La seule partie qui s’y engage activement est le Hamas (et ses alliés djihadistes), et non Israël. Selon la Charte originale du Hamas, « les soi-disant solutions pacifiques… sont en contradiction avec les principes du Mouvement de résistance islamique » et « il n’y a de solution à la question palestinienne que par le Jihad » (Art. 13). C’est précisément pour cette raison qu’Israël doit vaincre et détruire le Hamas.

Miséricorde et justice authentiques

Pour Adam Smith, « la miséricorde envers les coupables est une cruauté envers les innocents ». Permettre au Hamas de survivre n’est ni miséricordieux ni juste. C’est cruel à la fois envers les Israéliens et les Palestiniens. Un cessez-le-feu prématuré et à long terme ne ferait que jouer en faveur du Hamas, lui permettant de se regrouper, de préparer de nouvelles attaques terroristes et de continuer à semer la misère et la mort parmi tous les peuples de Terre Sainte et au-delà de ses frontières.

Ce qui ne veut pas dire que nous devions prendre plaisir à la guerre. Nous pouvons simultanément nous réjouir de la destruction du mal – « pour le bien de toute l’humanité » – et pleurer la perte de vies innocentes des deux côtés.

L’histoire a montré que la Bible a raison à propos d’Amalec. Les régimes maléfiques ne peuvent être ni amadoués, ni apaisés. Ils doivent être vaincus. Tout comme il ne pouvait y avoir aucune négociation ou compromis avec les Amalecs du passé – les nazis, Al-Qaida ou ISIS – il ne peut y avoir aucune négociation ou compromis avec le Hamas d’aujourd’hui. Il faut le vaincre et le détruire.

Ce n’est qu’avec l’élimination du Hamas que le Moyen-Orient pourra faire un petit pas vers la paix future telle qu’elle apparaît dans la vision du prophète Isaïe :

On n’entendra plus parler de violence (hamas en hébreux) dans ton pays, de ravages ni de ruines dans tes frontières. Tu appelleras tes remparts « Salut », et tes portes « Louange ». (Es 60:18)

Traduction: Adrienne Cazenobe 

André Villeneuve est professeur agrégé d'Ancien Testament et de langues bibliques au Grand Séminaire Sacré-Cœur de Détroit, Michigan. Il a obtenu son doctorat à l'Université hébraïque de Jérusalem et sa licence en Écriture Sainte auprès de la Commission Biblique Pontificale à Rome. Il est l'auteur de Divine Marriage from Eden to the End of Days (2021) et directeur de Catholiques pour Israël.

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